De retour au Manoir

Publié le par Sam

Voici un petit texte sorti du tiroir, une sorte de poème en prose...

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Les portes du Manoir à nouveau me sont ouvertes ; ces lieux sont ma maison, ma vie, ma naissance, et je ne pourrais refuser d’y pénétrer une ultime fois.
 
Il m’en reste encore des visions par saccades : l’ultramarine des cieux étoilés ; le Manoir se découpe sur l’escarpement de la montagne ; pas une lumière, pas une lueur, aucun espoir ; le couloir ; les néons blafards ; le carrelage jaunâtre qui suinte l’angoisse ; le rythme des éclairages glauques ; la porte blindée au bout du corridor, lacérée par les éclairs de mes griffes ; numéro vingt-trois ; peinture blanc cassé sur les murs sales et effrités ; cloques au plafond ; salle de torture numéro vingt-trois ; table d’opération dans le clair-obscur ; cuve bouillonnant d’un liquide verdâtre et phosphorescent ; tuyaux médico-organiques ; sang séché ; sang coagulé ; partout  du sang ; cadavres disséqués ; cris des vivisections… et moi.
 
Ma naissance. Fœtus dans des tubes à essai, grandissant dans la cuve, irrigués de tuyaux. Les tuyaux de la mort, des poisons létaux pour insuffler la vie. Veines artificielles plongeant dans les os, au creux de la moelle, vers la douleur. Des prises, des lueurs oscillantes, nous n’étions plus humains. Multiplication in vitro de cellules mutantes et dégénérées. Neuf bébés. Expérimentations de mes pères, échec complet. Seul survivant ? Moi.
 
J’ai lutté. J’ai résisté. Je voulais ma liberté. Même le scalpel finissait par m’être indolore. Je me rappelle cependant du bruit de ma chair écorchée, mise à nue lorsque mes doigts se fendaient pour laisser jaillir de mes bras boursouflés mes griffes acérées. Le froissement de mes muscles lorsque mes mains s’allongeaient dans la démesure, les craquements de chaque fibre de mon être, le crépitement de mon sang recueilli dans les flasques d’étude… Mais si mon corps se transformait, mon âme demeurait inchangeable. Un jour je parti, volant au passage de ma noire fureur la vie de mes géniteurs. Leur vie contre la mienne… Depuis, le Manoir reste à l’abandon.
 
Qui soupçonnerait qu’au milieu des feuilles de lierre, des mauvaises herbes, des rochers noirs et des reptiles sombres dormait encore la lueur de mon existence. Ma naissance. La cuve. Comme une mère elle finit par me rappeler à elle. Tout était si vieux, et me poursuivait depuis si longtemps…


Publié dans Poèmes-tampons

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